L’approche multimodale à la préadaptation en vue d’une chirurgie : Quoi, pourquoi, quand, comment, qui et quelle est l’étape suivante?

Ce que le praticien devrait savoir

La préadaptation peut se définir comme un processus qui se produit entre le moment du diagnostic et le début du traitement. Il comprend des évaluations physiques, métaboliques et psychologiques permettant d’établir un niveau de fonctionnement de base, d’identifier des déficiences et de fournir des interventions favorisant la santé physique et psychologique afin de réduire l’incidence ou la gravité de futures déficiences. Il est important de souligner que cette définition aborde le concept de multimodalité, car les paramètres tant physiques que psychologiques doivent être évalués et faire partie des éléments d’une intervention.

De plus, l’état physiologique du patient doit être optimisé en vue de maximiser les effets de l’intervention. Si un patient souffre de malnutrition, sa réaction à l’entraînement physique pourrait être mitigée par son état nutritionnel.

Étant donné la courte période dont nous disposons pour la préadaptation, il est essentiel de répondre à l’ensemble des besoins physiques et psychologiques des patients afin de bien les préparer en vue de leur chirurgie et de leur convalescence.

Au cours de la dernière décennie, la préadaptation a été reconnue comme un moyen important pour améliorer la forme physique du patient avant la chirurgie afin d’atténuer la diminution de la capacité fonctionnelle qui est habituellement détectée dans la période postopératoire. La détérioration de la capacité fonctionnelle a non seulement une incidence sur la qualité de vie et sur l’autonomie, mais elle peut également nuire à la capacité du patient à subir un traitement subséquent contre le cancer.

Même après une période de trois mois suivant une importante chirurgie abdominale non urgente, près de la moitié des patients ont encore des limitations fonctionnelles. Le retour à l’indépendance fonctionnelle est important pour les patients, les soignants et le système de santé en général. La préadaptation, lorsqu’elle est intégrée à un cadre renforcé visant à accélérer et à améliorer le rétablissement du patient, peut jouer un rôle important dans les soins chirurgicaux, car la chirurgie donne de meilleurs résultats lorsqu’on améliore la capacité fonctionnelle des patients dans la période précédant l’intervention.

Le rôle de la préadaptation peut également avoir une portée au-delà de la période périopératoire, car elle améliore l’état de santé du patient avant de subir d’autres traitements contre le cancer, comme la chimiothérapie, la radiothérapie et l’hormonothérapie, dont les effets néfastes sur la capacité fonctionnelle sont connus.

La chirurgie représente un stress important pour le métabolisme, qui favorise une perte de la masse musculaire maigre, une instabilité homéostatique et une détérioration de la capacité aérobique. Les patients qui subissent une intervention chirurgicale majeure sont hospitalisés, en moyenne, de sept à neuf jours, et la plupart de ces jours d’hospitalisation sont liés à la période de récupération postopératoire. Il est évident qu’un rétablissement rapide de la capacité fonctionnelle après une opération lourde est susceptible d’améliorer les résultats chez les patients, ce qui leur permet de retourner à la maison plus tôt et de reprendre leurs activités normales plus rapidement. De plus, le fait de récupérer plus rapidement et plus tôt comporte des avantages sur le plan de la santé et de l’économie et pourrait se traduire par une meilleure utilisation des lits d’hôpitaux disponibles.

L’introduction de protocoles visant à accélérer et à améliorer la récupération durant les périodes peropératoire et postopératoire a donné de bons résultats. Toutefois, on a accordé relativement peu d’attention à l’amélioration de la capacité fonctionnelle des patients durant la période préopératoire, malgré les nombreux avantages de cette méthode, sans les inconvénients des symptômes et préoccupations postopératoires. Pour la plupart des chirurgies non urgentes, il y a une période d’attente durant laquelle les patients sont motivés et disponibles, et cela représente une occasion d’intervenir de manière ciblée pour améliorer la récupération postopératoire. La participation active du patient au processus de préparation peut avoir des effets bénéfiques au-delà de la forme physique et peut atténuer une partie des symptômes de stress émotionnel lié à l’attente de la chirurgie et au processus de rétablissement.

Il faut tout d’abord définir clairement ce que sont l’activité physique et l’exercice : par activité physique, on entend tout mouvement du corps produit par les muscles squelettiques qui génère une dépense d’énergie, tandis que l’exercice désigne un type d’activité physique qui est structurée, planifiée et répétitive, et qui est associée à un objectif à moyen ou à long terme et à l’amélioration ou au maintien de la forme physique. Il convient de noter que tous ces facteurs sont des composantes importantes de la préadaptation qui, lorsqu’ils sont combinés, fournissent une intervention à multiples facettes qui permet de changer les comportements liés au mode de vie, d’améliorer la capacité physique et de faciliter la récupération.

Les exercices prescrits sont fondés sur les recommandations destinées à la population générale, c’est-à-dire 150 minutes d’exercice d’intensité modérée ou 75 minutes d’activité d’intensité élevée par semaine, sauf indication contraire du médecin traitant. Les exercices doivent être sécuritaires pour que le patient en attente d’une chirurgie oncologique puisse obtenir des effets bénéfiques importants sur la santé. Les recommandations doivent préciser la fréquence (combien de fois?), l’intensité (quel niveau de difficulté?), la durée (pendant combien de temps?) et le type d’exercice (quel genre d’exercice a été prescrit?). Lorsque nous créons un programme d’exercices, nos recommandations sont fondées sur la directive de 150 minutes d’exercice aérobique par semaine, à raison de séances d’environ 30 à 45 minutes, à intensité modérée, tous les deux jours.

La malnutrition attribuable à un apport alimentaire inadéquat ou à des changements métaboliques ou inflammatoires qui modifient les besoins en nutriments ou l’absorption entraîne un affaiblissement et une diminution de la capacité fonctionnelle. Elle est associée à une augmentation de la morbidité, à une période d’hospitalisation plus longue et à un nombre de réadmissions plus élevé, à une période de convalescence plus longue et à une détérioration de la qualité de vie. Les recommandations consensuelles relatives à la chirurgie en Amérique du Nord laissent entendre qu’une thérapie nutritionnelle pour tous les patients à risque a le potentiel d’atténuer les complications attribuables à la malnutrition tout au long de la période périopératoire.

Les soins nutritionnels visent à fournir une quantité suffisante de protéines pour atteindre l’anabolisme permettant d’avoir assez d’énergie pour maintenir le poids du patient durant les périodes de grand stress. Il faut tenir compte de la qualité de la protéine, de la densité de la source de protéine alimentaire et des aliments non protéinés. La diète doit comporter des aliments non protéinés, des gras, des glucides et des fibres, de même que des micronutriments. L’intégration de la nutrition et de l’activité physique permet de maintenir une réserve physiologique suffisante pour atténuer le stress lié à la chirurgie. Afin de générer un résultat net positif sur le plan de l’équilibre en protéines visant à développer la masse musculaire maigre, il faut administrer des acides aminés essentiels pour produire un environnement où la protéosynthèse est plus importante que la dégradation des protéines. La prise de protéines (de 20 à 30 grammes) sous forme liquide immédiatement après un exercice de résistance est considérée comme suffisante pour stimuler au maximum la synthèse de protéines musculaires chez les personnes en santé.

Il a été démontré, dans le contexte de la chirurgie, que la détresse psychologique a des effets néfastes sur la cicatrisation et le soulagement de la douleur, ce qui entraîne une plus longue hospitalisation et plus de limitations fonctionnelles. L’anxiété et la dépression sont très courantes parmi les patients qui ont reçu un diagnostic de cancer; la dépression dans cette population est associée à de faibles niveaux de capacité fonctionnelle, à des niveaux de douleur plus élevés, à une non-adhésion au traitement médical, à une diminution de la réaction immunitaire et à un risque de mortalité plus élevé. Les taux élevés d’anxiété et de dépression des personnes atteintes d’un cancer, ainsi que les effets psychologiques néfastes de la détresse psychologique sur la santé mentale et physique, ont conduit à la recherche afin de déterminer si les interventions psychologiques préopératoires peuvent effectivement réduire la détresse psychologique chez ce groupe de patients. Les données probantes du rôle de la préadaptation psychologique préopératoire proviennent des données des essais cliniques randomisés menés auprès de patients atteints d’un cancer du sein, du côlon ou de la prostate. Il a été démontré que les interventions réalisées avant la chirurgie, comme les techniques de relaxation (respiration profonde, relaxation musculaire progressive et méditation) et l’imagerie mentale dirigée ont un effet positif sur la gravité de la douleur, la fatigue et la qualité de vie.

Il serait logique de cibler ceux qui ont besoin d’une attention particulière, comme les personnes âgées, fragiles ou qui risquent de souffrir de malnutrition.

Les patients plus âgés ont tendance à avoir plus de complications postopératoires et une convalescence plus longue que les patients plus jeunes. En fait, les taux de morbidité et de morbidité post-chirurgicales augmentent fortement après l’âge de 75 ans. Les patients plus âgés ont tendance à passer plus de temps assis et au lit, ce qui a des effets néfastes sur la masse musculaire et l’homéostasie cardiovasculaire pouvant nuire à l’état fonctionnel et nutritionnel avant la chirurgie. L’approche multimodale dans le cadre de la préadaptation est une stratégie de soins intéressante pour cette population, car elle vise à améliorer la capacité fonctionnelle du patient au cours de la période préopératoire pour l’aider à gérer le stress lié à la chirurgie et le coût métabolique associé à la récupération.

Les patients fragiles posent un défi important pour les fournisseurs de soins de santé, car cette population souffre de nombreuses maladies chroniques comme le cancer, la démence et la coronaropathie, qui nécessitent des interventions multiples. Comme la fragilité est associée au déclin fonctionnel et à l’incapacité, il semblerait logique que ce groupe de personnes puisse bénéficier des avantages de l’approche multimodale dans le cadre d’un programme de préadaptation. En raison du plus grand risque de décompensation, les facteurs de stress importants tels que l’activité physique intense peuvent accélérer le catabolisme, par exemple lors d’une chirurgie ou d’un traitement subséquent. Les programmes de préadaptation structurés et personnalisés (y compris les protocoles d’exercice modéré, combinés à une optimisation de l’état nutritionnel et à un soutien psychologique adéquat) peuvent avoir une incidence sur les résultats de l’intervention. Ce domaine de recherche clinique en rapide évolution est nécessaire pour offrir des soins périopératoires optimaux aux personnes fragiles.

Nous avons passé en revue le concept de la préadaptation avant une chirurgie et fourni des précisions sur les interventions visant à améliorer la capacité fonctionnelle et qui ont un impact maximal sur les résultats postopératoires.

Il devient évident que la préadaptation doit être entièrement intégrée à d’autres éléments du programme de récupération améliorée après la chirurgie ERAS (Enhanced recovery after surgery) pour en maximiser l’efficacité. L’utilisation d’une approche multimodale durant la période préopératoire peut comprendre l’optimisation médicale et pharmacologique, la correction de l’anémie, le renoncement au tabac et à l’alcool, l’activité physique, l’optimisation de l’état nutritionnel et des stratégies pour gérer l’anxiété. Une telle approche peut en effet offrir l’occasion de préserver ou d’améliorer l’intégrité physiologique et d’optimiser la récupération après la chirurgie.

Les interventions multimodales en préadaptation nécessitent une approche interdisciplinaire, car cette approche représente un écart par rapport au paradigme actuel des soins de santé. La difficulté consiste à reconnaître que la période préopératoire représente un moment opportun pour intervenir de manière préventive et qu’il est essentiel de tirer parti de cette période pour promouvoir la prestation de soins cliniques plus efficaces.

Pour faciliter la participation des patients qui ont de la difficulté à se rendre à la clinique ou qui habitent trop loin, nous travaillons à l’élaboration d’un programme de préadaptation à distance où le patient communique avec les membres de l’équipe du Programme périopératoire avec Zoom, reçoit des exercices à faire, des conseils en nutrition et du soutien psychologique.

Liens des publications en format PDF (en anglais seulement)

Voyez les effets de la préadaptation en situation réelle

Cette vidéo réalisée par la Fondation de l’Hôpital général de Montréal montre l’incidence réelle de la préadaptation dans la vie d’un patient et de trois médecins (lien vers le site de la fondation).